Il m'arrive parfois, aux cours de recherches personnelles, de tomber tout à fait par hasard sur des destinées uniques, qui mériteraient qu'on leur consacre au moins un roman.
Albert Londres
Voici ma dernière découverte. Faisant des recherches sur le classement au patrimoine mondial de l'Unesco de Vichy, j'apprends non sans étonnement que la maison natale d'Albert Londres se trouve dans cette ville. Je suis d'autant plus étonnée que je n'en ai jamais rien su alors que mon grand-père y possédait un immeuble (à la belle-époque, quand Vichy était encore une ville d'eaux très courue). Comme Albert Londres fut longtemps mon modèle, j'entreprends aussitôt la recherche de l'emplacement de sa maison et... la carte la localise dans le vieux Vichy, quartier où ma mère passa les étés de son enfance ! Mieux, elle se trouve dans le prolongement de notre rue, à une cinquantaine de mètres de chez nous. J'appelle aussitôt ma mère au téléphone, qui, sans hésiter, me répond que oui, elle savait : " Elle était au-dessus du Familistère où nous allions faire les courses, il y avait une plaque devant." Je suis abasourdie.
Souhaitant rafraîchir ma mémoire, je me replonge dans la biographie du grand reporter et me souviens qu'en effet il est mort dans l'incendie du paquebot Georges Philippar - surnommé le Titanic français - au large de la Somalie dans la nuit du 15 au 16 mai 1932. Il rentrait d'un reportage en Chine d'où il rapportait l'histoire qui ferait sa gloire, s'enthousiasmait-il, et dont il n'avait parlé qu'à ses amis, les Lang-Willar qui voyageaient sur le même navire. D'aucuns supposèrent que ce drame n'était pas un accident et qu'on avait voulu le faire taire. Pourtant il semble bien que cet incendie fut le fruit du destin. L'un des officiers du Georges Philippar rapporte en effet :
" J'étais sur le pont des embarcations, quand j'ai entendu des appels provenant d'une cabine de luxe du pont immédiatement inférieur et j'ai vu alors un passager qui sortait par le hublot et qui appelait à l'aide.
C'était, je l'ai su depuis, Monsieur Albert Londres. Je lui ai lancé une manche à eau, un de ces longs tuyaux de toile qui servent chaque matin au lavage du pont et doivent être utilisés en cas d'incendie pour lutter contre le feu. Monsieur Albert Londres a saisi cette manche à eau, il s'est glissé hors de la cabine et a commencé à se hisser à la force des bras pour atteindre le pont des embarcations.
Le considérant comme en sûreté, je suis allé au secours des femmes et des enfants qui, rassemblés sur le pont supérieur, étaient inquiets et ne savaient que faire. Avec mes camarades de l'équipage, nous avons aidé à leur évacuation vers l'arrière. Or, la manche à eau à laquelle se cramponnait Monsieur Albert Londres s'est rompue, probablement atteinte déjà par les flammes qui venaient du pont des premières, et il a dû tomber à l'eau."
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Je m'interroge : Qui sont donc ces Lang-Willar qui se lièrent d'amitié avec Albert Londres ? Décrits comme un couple très en vue du tout-Paris, Alfred et Suzanne Lang-Willar firent la connaissance d'Albert Londres à Buenos Aires alors qu'il enquête sur la traite des blanches et qu'Alfred est président de la chambre de commerce française en Argentine. À cause de la crise de 1929, Alfred Lang-Willar part en Mandchourie développer ses affaires. À Shangaï en 1931 le couple retrouve Albert Londres qui mène son enquête - dont nous ne connaîtrons malheureusement jamais le contenu. Les bombardements des Japonais font rage. Le couple est arrêté et condamné à mort. Ayant réussi à s'évader, ils s'embarquent sur le Georges Philippar en même temps qu'Albert Londres, pour rentrer à Paris. Lors du naufrage, plus chanceux que leur ami, ils sautent à la mer et sont recueillis par un navire soviétique.
Pressés de rentrer à Paris retrouver leurs enfants, ils prennent un avion. Celui-ci est piloté par un as de l'aviation de l'époque, Marcel Goulette. Nous sommes le 25 mai. Le temps est à la tempête. Et c'est la catastrophe. Les quatre occupants n'en réchappent pas. Neuf jours à peine après l'incendie du Georges Philippar. Quand le sort a décidé de s'acharner...
En 1960, leur fille Claudine périt dans un accident d'avion avec son mari et leurs deux enfants.