Huit heures du matin, parc de la Cité universitaire. L’homme a surgi de derrière un buisson, comme un rat. Penché en avant dans un grand pardessus gris, il tient un sac en plastique à la main. Ses effets. Son pas est pressé, décidé. Non pas qu’il sache où il va, mais plutôt qu’il cherche à dissimuler son errance sans but. La chaleur s’annonce. A cette heure matinale, peu de témoins à sa misère. Juste deux ou trois joggers, qui l’ignorent en passant devant lui. Le reste des forcenés de la forme ne tardera pas à arriver. L’homme s’en ira alors vers la ville y chercher de quoi se sustenter. A l’approche de la nuit, il regagnera discrètement ses pénates.
A présent, il se désaltère au robinet prévu pour les joueurs de tennis. C’est son point d’eau, secret, dans la jungle asphaltée qui rugit derrière les grilles de la Cité. Ici, il dispose de bancs paisibles pour se reposer. Le grand luxe.
Je le croise depuis plusieurs années dans le triangle urbain Alésia, Denfert, Saint-Jacques. Aujourd’hui, j’ai découvert son repère à la cité. Il m’a toujours mise mal à l’aise avec ses lunettes en écaille, son pardessus strict et son visage d’intellectuel, un poil trop cuit par le soleil. Il me dérange avec son air de vouloir se cacher furtivement, comme pour masquer la honte de sa condition déplorable. Aujourd’hui, en allant faire trois courses, je l’ai croisé rue Dareau, près du pont du RER. Consciente que je n’allais pas tarder à écrire sur lui, lâchement reconnaissante, je lui donnai pour la première fois dix francs, royalement. Et je l’entendis me dire : « … mais si les historiens ne font rien, les aberrations se maintiennent et elles se généralisent… » Craignant de m’engager plus, je passai rapidement mon chemin. Nous sommes à cent mètres de Sainte-Anne. Cet homme a-t-il eu une femme, des enfants ?
Un matin de juin 2001
Texte et Photo © Sylvie Lasserre
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