Il l’a eue ! Les deux jambes fichées de chaque côté de la margelle de la fontaine, raides comme les branches d’un compas, le touriste vient de voler sa photo souvenir : une perspective profonde derrière le rideau d’eau de la fontaine. Mémorable ! Mémorable, lui aussi. Satisfait, le grand barbu repart. Ici, sur les gradins de l’hémicycle du parvis de l’église Saint-Eustache, il y a les chasseurs d’images, et les mammifères, les homo sapiens. Paisiblement assis sur les gradins de pierre au soleil, ils profitent des dernières belles journées de l’automne, tels des iguanes ou des chimpanzés sur les rochers. L’odeur de l’herbe fraîche renforce la nostalgie de la fin de l’été. Le soleil de midi est bas dans le ciel. Certains ruminants ont terminé leur collation et s’accordent le plaisir d’une cigarette. La fumée chatouille agréablement les narines avant de s’évaporer dans l’air léger. D’autres s’époussettent tranquillement. Une brise se lève, fugace, apportant une odeur de friture. Une odeur de Mac Donald, venue de nulle part. Son repas achevé, une touriste pose pour la photo. Sophistiquée. Incongrue. Plus loin, un homme palpe et repalpe l’épaule d’une vieille femme assise. Elle pleure. Elle a du sang sur le genou. Elle a dû tomber. On accourt autour de la vieille, tel une bande de primates autour d’un membre blessé de sa tribu. Parvis Saint-Eustache par beau temps, plaisir de l’abandon, le temps d’un repas, à la douceur et à la nonchalance d’une existence animale. Plus loin, dans le bruit des moteurs polluants, assis sur des chaises aux terrasses des restaurants, on mange du bout des doigts de malodorantes frites. Puis on avale un café amer avant de repartir en courant au bureau. Ca, c’est la civilisation !
Mercredi 10 octobre 2001
Texte et Photo © Sylvie Lasserre
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