« Allez Zoé ! Au revoir, Monsieur. » La dame, impatiente, tire son york-shire, abandonnant le vieux monsieur à ses pigeons. Ciel radieux en ce dimanche matin. L’air léger sent la mousse, la terre humide et le printemps. Le vieil homme, svelte, cheveux blancs, léger hâle et nez cassé, a ôté son anorak. Il pioche des morceaux de pains dans un sac en plastique tout en devisant avec un habitué du coin. Nous sommes au lendemain de la victoire française sur l’Angleterre au Tournoi des Six Nations. « Au niveau talonneur, c’est pas ça ! Il est trop lourd, il court pas assez ! » commente son interlocuteur, un jeune homme au fort accent du Sud-Ouest. Les deux hommes, debout, sont cernés par les pigeons. « Il est beau, ce droit ! Ses jambes, elles s’en vont ! Il joue hein ! Ca, c’est du boulot ! Ca joue, ça distribue ! » Dans son emportement, le vieux monsieur lâche son sac et oublie les pigeons qui terminent les dernières miettes.
« Moi, celui qui m’a le plus esplanté, c’est le 8 du tournoi de Galles. C’est un monsieur, ça ! Il a tout ! T’en prends quinze comme ça - Ils se tutoient maintenant - et tu remportes la Coupe du monde ! » s’enthousiasme le plus jeune qui poursuit : « Et attends ! Regarde bien le coup : ils tapent avec les deux essais qu’ils manquent ils passent devant nous ! » « Et moi j’ai vu le moment où ils allaient se faire remonter ! s’émeut le vieil homme qui roule délicieusement les r. Le 14, le plus petit là, c’était un feu follet ! Ah non, il a été bon ! Il est bon ce monsieur ! » Les pigeons, dépités, sont partis. « Magne, je l’ai vu à Sète. Il percute hein ! Ah il aime ça ! Vlam ! Ah ! J’aime ça ! Ca, ça travaille ! Nous, c’était le sac de sable et on se jetait dessus ! » Il mime les coups.
Tous deux se tiennent à présent au milieu du croisement, comme sur un ring. Le jeune enchaîne : « Et Spanghero, tu voulais le rendre fou, tu le prenais par le maillot ! » « Ah ! C’est plus pareil ! Je les trouve lourds maintenant ! Ils courent pas assez. Ils font pataud comme on dit. » « 110 kilos et 11 secondes au 100 mètres, tu les cherches, hein, t’en trouves pas d’autre ! » « C’est ce que je disais aux joueurs : ‘ Il faut jouer en profondeur !’ » Le vieux monsieur revit le match de la veille, comme s’il l’avait joué : « Magne, il perce le rideau ! Et vous l’avez vu, le Néo-Zélandais, comment il sert ? Il s’arrête, le temps de reproduire, aussi exactement que possible, le service du Néo-Zélandais. Ah ! Sur trente mètres, ils sont décisifs ces gars là ! » « C’est la technique ! » « Ah ! C’est le métier ! » Sur ce petit carré de terrain, nos deux protagonistes semblent prêts à jouer toute la journée, quand le jeune homme est subitement pressé par son chien. Il prend congé. Le match s’interrompt soudainement. Au bout de sa laisse, un york-shire, barrette et paletot de pluie.
Dimanche 3 mars 2002
Texte et Photo © Sylvie Lasserre
Commentaires