Pour les besoins de mon reportage, je tente, aussi discrètement que possible parmi cette foule ramassée et désoeuvrée, de voler quelques photos. J’en ai déjà pris quelques unes lorsque le vigile me repère : « Qu’est-ce que vous faites ? » Je prends mon air le plus niais, mon attitude la plus engageante : « Je suis en stage de journalisme, c’est pour mon rapport de stage. » Sans oublier mon joker : « Je suis cliente de l’agence. » Rien à faire : « Vous n’avez pas le droit, il faut demander la permission. » « Aucun problème, demandez-la ! » Je suis charmante, et vraiment, aucun risque avec moi. Arrive une « responsable ». Gentiment, elle me redit à peu près la même chose. Elle doit appeler la « COM-MU-NI-CA-TION ». Je la suis dans son bureau. « Allô ? » « …… » « D’accord ». Un sourire, et elle me chuchote, complice : « Vous n’avez pas le droit, mais faites comme si l’on ne vous avait pas vue, prenez les photos de l’extérieur… » La conscience tranquille, je mitraille, de l’extérieur. Mais…
Maître corbeau régnait en son agence.
Un petit homme, surgi de nulle part, me tombe dessus : « Bonjour, je peux savoir ce que vous faites ? » Avant d’ajouter : « Je suis le directeur de l’agence. » « Ben, on ne vous a pas dit ? C’est pour un rapport de stage, cela ne paraîtra pas dans la presse. » Visiblement, on ne lui a rien dit. « Non, vous n’avez pas le droit, poursuit-il, intraitable. Et puis ce sont nos clients que vous prenez ! » « Mais je les prends de dos ! » se défend l’agneau. « Les consignes de la communication sont très strictes : c’est interdit », répond le loup.
Depuis le début de la scène, une silhouette, plantée dans mon dos, semble attendre quelque chose. Elle finit par me taper sur l’épaule. « Najwan ! » C’est un copain, qui habite le quartier. Il passait par là, il a tout vu, tout entendu. Il ne comprend pas ce que je fais là. Je lui explique.
Sans crier gare, Najwan entre alors en scène : « Monsieur, je savais bien que vous étiez quelqu’un de sympathique ! Justement, je voulais ouvrir un compte en banque. Je suis architecte, je pars bientôt au Cambodge. » Blablabla… Puis : « Mais elle peut me prendre en photo, moi, dans l’agence ? » Très fort, Najwan. « Oui, bien sûr (monsignourrr), aucun problème. » Ils en sont presque à se taper dans le dos. J’en profite : « Je peux vous prendre ensemble ? » « Mais bien-sûûûr ! ! ! » Mais que lui a fait Najwan ? ? ? Oubliées, les strictes consignes… Le directeur part chercher deux agendas qu’il nous offre. Les voilà, tous deux, posant pour la photo. Et là… Le directeur me gratifie du plus beau sourire rectangulaire que j’ai jamais vu. Je rêve. Paf. Je tire. Mais mon déclencheur réagit à retardement ! La photo que vous voyez n’est qu’un pâle résidu de ce sourire inouï. Plus tard, Najwan : « Tu sais, il faut flatter les gens… »
Vendredi 14 décembre 2001
Texte et Photo © Sylvie Lasserre
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