« Afin de ne pas polluer la planète merci de ne pas fumer et d’enlever vos chaussures avant de faire le tour du monde. » Comme à la mosquée, les savates sont déposées à l’entrée de l’immense planisphère du jardin du Luxembourg. Du bout de l’orteil, Tranh indique son village natal à une étudiante française : Vinh Loi sur les marécages de Ca Mau. Puis il recommande vivement Nha Trang : « C’est la plage ! C’est comme Perpignan ! » Le jeune touriste vietnamien, blue jeans, tee shirt Nike, s’attarde sur son pays : Halong Bay, Hué. « Hué, c’est la cidarelle. » « La quoi ? » « La cidarelle royale ! » « Ah ! »
Les adultes déambulent gravement sur la carte géante, en chaussettes ou pieds nus. Certains se plantent, tels des hérons, tête basse et sandales ballantes à la main. On se raconte ses vacances, on s’assoit sur un continent du planisphère, le temps de parler posément de ses projets de voyages. Deux touristes prennent la position du lotus sur l’Inde. Pour la photo.
Quatre petites libellules en tee shirt rose fuchsia déboulent sur l’estrade et décrivent de larges cercles en courant. Elles agitent les bras dans tous les sens et poussent de petits cris aigus. « Je suis sur la terre ! » « On va sur l’eau ? » « Ouais ! » Une autre mime la nage. « Elle est grande hein la mer ! » « Regardez, je marche sur les maisons ! » La mère s’impatiente : « Allez ! On remet les chaussures ! » Et elles s’envolent, comme elles sont venues.
« Il ne faut pas courir », intime le père d’Antoine. « Moi, je veux courir ! » Antoine, petit blond d’environ quatre ans, tee shirt vert, court sans vouloir jamais s’arrêter. Il rit de toutes ses dents, silencieusement. De joyeux cris de mouette lui échappent : il traverse les océans et les continents. Son grand frère l’accompagne. « Y a plus pied ! » Le père, sérieux, tente de les instruire : « Tu vois, là, c’est l’Amérique ! » « Ouais ! » Et ils repartent de plus belle. Leurs cris retentissent, de plus en plus longs, de plus en plus stridents. Tellement heureux ! Antoine fait une halte en Pacifique nord. Il barbote un moment et, du plat de la main, donne des claques à la surface de l’eau. Il rit tout seul. Infatigable, il repart, suivi d’un copain qu’il vient de rencontrer en Alaska. Perl, une toute petite Vietnamienne, s’allonge, se vautre, se pelotonne. Elle attrape des jambes adultes. Maintenant, elle pose, à plat ventre sur le Vietnam, pour sa mère adoptive, américaine, qui prend la photo. Deux ans et deux petites couettes en l’air. Elle rit, elle aussi, du même rire qu’Antoine, l’air un peu largué mais les yeux brillants.
Antoine est maintenant rouge vif. Mais son père le rappelle pour partir. Et Antoine s’éloigne, à regrets, un ballon de baudruche à la main. Il se retourne et jette un dernier regard sur la petite Perl.
Vendredi 25 août 2000Texte et Photo © Sylvie Lasserre
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