L'attentat à mon arrivée
7 avril 2005. La nuit tombe déjà lorsque mon avion atterrit. Matteo m'attend. C'est un ami qui vit au Caire. Dans le taxi, la nouvelle tombe, via son téléphone portable : un attentat vient de se produire à Khan Khalili. " C'est dans le vieux Caire, en plein quartier touristique ", me précise Matteo.
Au Caire, tout semble normal, rien n'indique qu'une bombe a explosé. J'aimerais me faire une idée de l'ampleur de l'événement. Nous apprenons que des touristes ont été tués. Combien de morts ? Dix peut-être. Mais personne sur place n'est capable de nous renseigner. C'est via l'Europe et grâce au téléphone que nous obtenons quelques informations. Je propose à Matteo d'y aller afin de nous rendre compte de la réalité.
Khan Khalili. Vingt-trois heures. D'ordinaire, ce bazar du vieux Caire grouille de touristes. Ce soir là, l'endroit est étonnamment désert. Seules, quelques rares échoppes sont ouvertes. Pas un touriste, pas un chaland. A l'entrée d'une rue, des policiers se tiennent devant une barricade. Au loin, je distingue un peu d'agitation. La ruelle est sombre. Nous approchons. Une trentaine de CRS délimite un périmètre de sécurité. Un officier de police se trouve au centre et prend des notes. Autour, quelques curieux, des riverains. L'ambiance est étrangement calme. Un peu à l'écart, une journaliste relate les faits pour la télévision. Des yeux, je cherche la presse étrangère. Invisible.
Des badauds nous renseignent : c'est un jeune de dix-huit ans qui s'est fait sauter en scooter. Ce serait un acte isolé. Père décédé, chômage, charge de la famille sur ses épaules, ...
En repartant nous sommes interpellés par une jeune journaliste. Pendant l'interview, le photographe qui l'accompagne me prend en photo. C'est pour le journal " Akhbar El Yom " (les Nouvelles du Jour) de demain, me dit-elle. Je lui apprends que je suis aussi journaliste, en reportage au Caire. C'est ainsi que je fais la connaissance de Marianne, qui deviendra vite une amie.
Welcome !
" Welcome ! " " I like the way you walk ! " " You are beautiful ! " " You have beautiful eyes ! " " Hello ! "...
Non, non, ce n'est pas Marilyn Monroe descendant la 5e avenue, c'est moi déambulant le soir sur la Talaat Harb Street ! Rien de tel pour regonfler un ego en berne : se promener seule dans les rues du Caire à la tombée de la nuit ! Non, non, je ne porte pas de tenue affriolante : on ne me voit que le cou et les mains. Et les cheveux. Mais je dois me rendre à l'évidence : autour de moi, ce n'est qu'un ballet de hijabs informes, enveloppant des corps lourds et nonchalants, de niqabs noirs effrayants qui ne laissent percer qu'un regard non moins inquiétant et de voiles plus légers aux couleurs vives assortis aux tuniques portées par les adolescentes. Elles vont toutes ainsi, les Egyptiennes, sur l'avenue bordée de vitrines. Qui accrochée au bras d'un époux, qui tendrement agrippée à celui d'une mère, d'une cousine ou d'une amie. Elles sortent goûter la fraîcheur du soir, lécher les vitrines, ou déguster une gourmandise.
Beaucoup d'hommes arborent la zibiba, cette corne noirâtre au milieu du front, que je prends d'abord pour de la saleté, mais qui en réalité atteste d'une pratique fervente des prières quotidiennes. De mauvaises langues racontent que certains se frottent au papier de verre pour la rendre plus voyante... Dans les rues du Caire
Dix-neuf heures. L'activité du Caire, ville qui ne dort jamais, monte en puissance. Les trottoirs sont de plus en plus encombrés. Une gamine sans jambes se faufile en zigzaguant à travers la foule à l'aide de ses deux mains qu'elle a chaussées de tongs. Soucieuse de ne pas arriver en retard à mon rendez-vous, je choisis de marcher sur la chaussée, encombrée elle aussi par les vélos des livreurs de pains " baladi ", les charrettes des ramasseurs d'ordures et celles des marchands de bouteilles de gaz, sans compter les voitures et les taxis. Mais on y circule tout de même mieux que sur le trottoir.
Ici, la musique des klaxons ne cesse jamais. Rien d'agressif, non, plutôt de légers coups, très brefs, juste pour signaler que l'on passe. Je pourrais reconnaître le Caire entre mille, rien qu'à sa mélodie. La circulation, très fluide, ressemble à un ballet. Pas de double sens, des feux souvent inutiles car à chaque croisement ce sont des policiers qui régulent à vue le flot bruyant... Cela semble bien plus efficace que nos feux... Il y a très peu d'accidents au Caire, et quand il y en a, c'est rarement grave. Jamais de gros embouteillages non plus. Cette incroyable circulation se gère tout en douceur.
Mais quand on n'a pas l'habitude, traverser la rue relève de la mission impossible... Me voyant hésiter depuis plus d'une minute sur le bord d'un trottoir, un homme m'accoste en riant : " Fermez les yeux, plongez et remettez-vous en à Dieu ! " Moi, je préfère ma technique : me greffer à un Cairote comme un poisson pilote et le suivre dans le tumulte des flots...
Le Club grec
Midan Talaat Harb enfin ! Sur la place, le Club grec vient d'ouvrir. Sa terrasse, qui domine la place, se trouve juste au-dessus de chez Groppi, la fameuse pâtisserie. Toutes les baies vitrées sont ouvertes. Les lustres scintillent. C'est un lieu impressionnant, aux proportions gigantesques. Ambiance années trente. Je retrouve Matteo. Nous commandons du tahina, des brochettes de poulet et du foul, et dévorons les morceaux de pita que nous trempons dans les plats disposés sur la large table ronde. Depuis la terrasse, Matteo me montre le quartier général d'Ayman Nour, l'opposant à Moubarak qui vient de sortir de prison. Les locaux se trouvent juste au-dessus du Club grec, au deuxième étage. Une immense bannière portant son portrait flotte le long de la façade de l'immeuble.
Le hadra
Vingt-trois heures. Un hadra - lieu où l'on danse sur du " zikhr ", la musique qui mène les soufis à la transe - se tient cette nuit dans un cimetière proche de Sayeyda Zeïnab. Le taxi nous dépose non loin de la grande mosquée dont le minaret éclaire merveilleusement la nuit. Matteo s'engage derrière une palissade. Je le suis. Le sol est jonché de gravats et d'ordures. Nous marchons avec précaution et pénétrons dans le cimetière qui ceint la mosquée de Zein el Abedine. Il fait très sombre. Au loin, des silhouettes nimbées d'une lumière dorée se détachent. On dirait un tableau de Rembrandt. L'éclairage est apporté de l'extérieur par de longs fils électriques auxquels sont suspendues des guirlandes d'ampoules.
Une foule silencieuse se tient là. Certains dansent, d'autres sont assis sur des chaises en bois posées à même la terre mal aplanie et entre les flaques d'eau. Un chanteur, en galabiya, se tient debout, micro à la main, devant une estrade faite de quelques planches de bois clouées de guingois. Derrière lui, les musiciens. La musique, du zikhr, couvre les voix. Aux pieds de la scène, un tapis râpé. Parmi les danseurs, hommes et femmes, certains sont en transe. Une buvette a été aménagée contre le mur d'une tombe - ici, les tombes sont de la taille d'une maisonnette et comportent une pièce, si bien que tous les cimetières du Caire sont habités par les pauvres.
Lorsque j'arrive, un homme au crâne rasé surgit et me tend un billet de cinquante piastres. Il porte un ample pardessus kaki et me sourit comme un enfant. Ses lèvres sont épaisses, sa face ronde est couverte de perles de sueur. On dirait un fou du roi. Je le remercie et il repart gaiement, léger comme un oiseau. Je regarde un instant les danseurs puis je m'éloigne... je monte les marches du mausolée. Un homme dort sur le parvis en marbre. Le contraste entre l'apparat du monument et la pauvreté de ce no man's land alentour est saisissant.
Depuis la terrasse, le spectacle est inouï, la lumière magique. Partout, de petits groupes d'hommes et de femmes assis en tailleur émergent de l'obscurité, enveloppés dans un halo de lumière. De l'autre côté, la vue plonge sur quelques tombes en ruine, transformées en habitations. Je distingue un cheval immobile attaché à sa longe. Plus loin, deux chiens dorment profondément sur une dalle funéraire. Je ne peux m'empêcher de penser à la ville endormie de la Belle au Bois dormant. Au loin une porte s'entrouvre, une ombre sort, se penche et vide un seau.
Plus loin encore, à une centaine de mètres, caché des regards par d'autres caveaux, se tient un autre hadra, signalé par l'importante clarté qui s'en dégage. C'est une femme qui chante, il y a moins de monde. Personne ne danse. C'est plus tranquille. Une buvette s'est improvisée sous un toit de roseaux. A l'écart, quelques hommes d'âge mûr fument la chicha. J'erre. Je prends des photos. Enfin... j'essaye car la lumière est très faible et je ne veux pas utiliser mon flash. Et puis surtout, les photos sont très malvenues...
Retour vers le mausolée. Sous l'escalier, une femme en noir prédit l'avenir. Autour d'elle, rien que des hommes, assis sur un tapis. Derrière l'escalier, adossé contre le mur de l'édifice, un vieil aveugle loue des chichas dont il a enroulé les tuyaux autour de son cou, comme un charmeur de serpents. Une vieille femme, aux lunettes très épaisses et entièrement voilée de bleu nuit, m'attire vers son groupe. Elle me parle. Je ne comprends pas. Un attroupement se forme. Arrive une autre femme, en habits de fête, fée carabosse, aux yeux exagérément noircis de Khôl. Je pressens le mécontentement général. Elle refuse que je la prenne en photo. Matteo arrive à mon secours et me traduit ses paroles : " Qu'est-ce que tu viens faire ici ? " Nous nous éloignons.
Retour vers le premier hadra. Je rencontre Hany, assis à deux tables de la nôtre. Il est musicien, comédien, metteur en scène, poète, ... Un beau regard, très serein, détaché de tout. Je lui dis que je suis journaliste. Il écrit son numéro de téléphone sur mon cahier de notes. " Appelle-moi demain ! " Quatre vieilles femmes, maquillées à outrance, sont en transe. Leurs vêtements sont très colorés. L'une d'elle, totalement édentée, semble complètement " partie ". Une de ses amies appose sur sa tête un voile noir qui lui recouvre le visage. Sa transe s'achève. Sa copine la calme, la retient, l'aide à revenir.
Un autre zikhr démarre. Ce sont maintenant des hommes qui dansent. Une femme en noir, assise sur le côté, se lève subitement, prise de violentes convulsions qui la secouent. Elle s'appuie sur le rebord de sa chaise pour ne pas tomber. Son buste se penche d'avant en arrière. Elle grimace. Une amie la surveille, la soutient. Cela dure cinq minutes puis elle se calme. Elle semble épuisée.
Le darwish
A mon grand regret, la fête se termine. Comme s'il avait deviné notre intention de partir, l'homme du début réapparaît miraculeusement. J'ai l'impression qu'il tient absolument à me dire au revoir. Il me sourit de ce sourire d'enfant incroyable. Je lui fais un signe. Alors, dans un mouvement de joie, il virevolte dans la lumière et disparaît dans un nuage de poussière. Sa grâce est infinie, merveilleuse. J'apprendrai que c'est un darwish : il vit d'aumônes et passe ses journées près du mausolée. Il consacre sa vie au saint enterré là depuis le 15e siècle... Impossible de savoir s'il est doué de pouvoirs ou simplement idiot. " He is in the middle of nowhere...", me dira plus tard Hany, comme pour cultiver le mystère. A plusieurs reprises, je tenterai de le retrouver. En vain.
Horreur ! Trop occupée à regarder où je mets les pieds, je réalise que je viens de perdre de vue Matteo. Tout à coup je me sens très vulnérable. J'erre dans les gravats, pas très rassurée. Et puis Matteo réapparaît et m'entraîne.
La terrasse de Hany
Chaque nuit des concerts s'improvisent chez Hany, sur son toit. C'est une immense terrasse, d'où l'on domine le centre du Caire. On y entre comme dans un moulin. C'est au dernier étage d'un immeuble à l'escalier somptueux. On monte, on salue, on s'assoit... C'est très silencieux chez lui. Les rares conversations se font à voix basse. Les bruits de la ville ne montent pas. Parfois Hany saisit sa tabla et entonne une longue mélopée. Sa voix est poignante et gutturale. L'arabe égyptien est une langue douce et belle. Quand il est fatigué de jouer, il pose son instrument et nous entraîne dans la ville boire un thé, fumer une chicha, parler, ou ne rien faire... juste rester ensemble.
Les passages
Hany connaît tous les passages du Caire. Son passage préféré se trouve à deux pas de chez lui, près du Club grec. Impossible d'en deviner l'existence si on ne le connaît pas. Nous nous engageons dans l'impasse. De part et d'autre, alignées contre les murs, des tables où des hommes fument la chicha, jouent aux dames, boivent un thé, un khawa,... Hany connaît tout le monde. Il s'arrête saluer quelques connaissances. Pas une seule femme, mais cela ne me dérange pas. Après tout, je suis occidentale...
Brahim
C'est là que je vois Brahim pour la première fois. Un visage d'une rare beauté. Il est attablé, dos au mur, avec deux amis. Je lui demande la permission de le photographier. Il accepte. Il est journaliste et écrivain ! Ce soir, il est heureux et cela se voit. Il donne du " habibi " (chéri) à tous ceux qui passent, il sourit. Brahim est marocain et il vient de remporter le prix littéraire du Monde arabe. " Pour les moins de quarante ans ", précise-t-il. Et il me montre fièrement le billet d'avion qui lui a été offert pour se rendre à Dubaï, à la cérémonie de remise des prix. Mille dollars pour lui, une somme énorme ! A titre de comparaison, le salaire moyen d'un journaliste est de 40 euros par mois. Brahim El Mansouri... à retenir...
Les nuits au Caire n'en finissent pas, les sorties s'enchaînent. De là, nous nous rendons au café El Horriya, la Liberté, un des lieux de rendez-vous des intellectuels du Caire, un endroit un peu mythique. Je retrouve Mohamed, rencontré quelques jours plus tôt. Matteo m'avait prévenue : le Caire, c'est tout petit, tout le monde se connaît. C'est vrai, j'ai presque l'impression d'être en province. D'ailleurs, Brahim fait son apparition peu de temps après notre arrivée. Un charmant désordre règne en ce lieu par ailleurs très ascétique : des tables en bois éparses, des mégots sur le carrelage, ... Les bouteilles de Stella, le seul alcool que l'on trouve encore dans certains cafés de la ville, s'alignent sur les tables.
Il est deux heures du matin. Hany décide de rentrer et nous propose de faire un crochet par la laiterie, à deux pas de El Horriya. La laiterie ? C'est là qu'il achète son lait chaque nuit, avant de rentrer chez lui. Rien ne m'étonne plus au Caire...
Gnawa Diffusion
Le centre El Sawy se trouve à Zamalek, en bordure du Nil. C'est un endroit charmant, semi ouvert. La partie extérieure consiste en pelouses étagées qui bordent le fleuve. L'intérieur n'est pas fermé, mais simplement recouvert d'un toit. Au fond de la salle se trouve la scène. Ce soir là, c'est Gnawa Diffusion qui passe. Il y a beaucoup de monde. Je dois retrouver Marianne qui vient d'interviewer Amazigh, le chanteur du groupe, et qui m'a procuré une invitation.
A l'intérieur, à mon grand étonnement, je retrouve de nombreux visages connus, ce qui me donne un peu l'impression d'être du Caire... En réalité, c'est le " tout-Caire " culturel, milieu microcosmique, qui est présent. Avec Mohamed, nous nous frayons un chemin jusqu'à l'avant de la scène. En première partie, c'est justement Hany qui joue avec d'autres musiciens. Puis j'aperçois Brahim qui se faufile jusqu'à nous. Son avion décolle à minuit mais il a tenu à assister au moins au début du concert. Il semble surexcité. Quand les musiciens de Gnawa font leur entrée, il hurle : " Aziz ! " C'est Aziz Maysour, un des musiciens. Il se justifie : " Je le connais ! C'est un Marocain ! " Ah.
L'ambiance commence à devenir palpable. La joie se lit sur tous les visages ; peu à peu la communion entre le public et le groupe devient totale. Je ne retrouve pas la barrière invisible à laquelle je suis habituée en Occident. Sourires, échanges verbaux, c'est un doux flirt entre la salle et la scène. Je regrette de ne pas comprendre l'arabe. Un peu plus tard, Hany nous rejoint. Il me reproche de ne pas lui avoir téléphoné la veille : " Pourquoi tu n'as pas appelé, hier on a fait un concert sur mon toit, Amazigh était là... " Décidément, le Caire, c'est vraiment la province... A moins que ce ne soit l'ensemble du monde arabe... Non plus rien ne m'étonne... Il y a une sorte de magie qui flotte partout au Caire.
Un mariage
Retour dans le quartier du cimetière. Cette nuit a lieu un grand mariage. Afin que personne ne rate l'événement, un ballon de baudruche de cinq mètres de haut, couleur rose bonbon, a été érigé à un carrefour. Dessus, une banderole affiche les noms des futurs mariés. Une impasse a été reconvertie en une sorte de hall gigantesque, à l'aide de bâches tendues en guise de murs. Sur les façades des immeubles mitoyens, des guirlandes d'ampoules multicolores sont accrochées. Vingt-deux heures, nous attendons. Un embouteillage se forme dans la rue. Ce doit être un mariage très important... Hany me confirme que ce sont les deux familles les plus riches du quartier qui s'unissent : l'une a fait fortune dans la boucherie, l'autre grâce au hachisch.
La foule impatiente attend l'arrivée des mariés et se presse devant le chapiteau. L'embouteillage grandit et ne pas se faire écraser commence à relever de la prouesse. Je préfère pénétrer dans la halle, encore vide. Un long podium, comme ceux des défilés de mode, traverse la salle : c'est pour les chanteurs et les danseuses orientales. C'est dire l'importance du mariage ! Autour, des tables rondes où commencent à prendre place les premiers convives. Au fond, sur la scène, un animateur, micro en main essaye de chauffer l'ambiance. La sono est assourdissante.
Les mariés arrivent enfin dans une limousine flambant neuve. Leur apprêt irréprochable contraste prodigieusement avec la tenue des gens du quartier. Quelques photographes attendent l'arrivée des jeunes époux. Dont moi. D'abord souriante, fière d'être photographiée, la mariée, bousculée par la foule, finit par craquer. Je la sens au bord de la panique. Puis le couple escorté par son service d'ordre disparaît dans le fond de la salle. Les convives, sur leur trente et un, arrivent au compte goutte et disparaissent à leur tour.
Les curieux affluent. Je les reconnais à leur mise, très simple, qui dépare avec celle des invités. Des enfants des rues, attirés par le faste et la fête comme des papillons par la lumière, s'approchent, timidement. Ils tentent de prendre un air important. Les voir ainsi, tristes et éblouis à la fois, dans leurs pauvres haillons, me bouleverse. Leurs yeux sont grand ouverts, ébahis. Eux aussi, ils veulent être de la fête. Après tout, ils sont du quartier ! Peut-être espèrent-ils passer inaperçus, se fondre dans la cohue et profiter ainsi pleinement des festivités. Mais alors qu'ils arrivent près de la scène, des hommes en galabiya, chargés sans doute d'assurer la sécurité, les chassent à coups de bâtons, un peu à la manière dont on se débarrasse d'une nuée de moucherons. Les jeunes garçons ravalent leur orgueil et s'éloignent. Puis, n'y tenant plus, ils s'approchent à nouveau, espérant qu'on les a oubliés. Ils veulent voir. Ils veulent être de la fête.
Soudain une bagarre éclate. Deux hommes, sur le podium, probablement des membres de la famille, se hurlent leur colère au visage. Ceux-ci sont déformés par la rage. Je ne comprends pas ce dont il retourne. Sans doute une question d'organisation. La sono devient insupportable. Puis ce sont des coups de feu qui partent. Je me retourne. Un gamin d'environ cinq ans marche tranquillement sur le podium et tire en l'air des balles réelles. Sa démarche et sa main sont incertaines. Je jette un regard à Marianne qui me confirme que ce sont bien de vraies balles.
Epuisées par le bruit insoutenable et toute cette folie, nous décidons de nous sauver. Les gamins sont à nos basques. Depuis plus d'une heure, vingt petites mains ne cessent de me taper dans le dos pour attirer mon attention : " Sawari ! Sawari ! " (Cela veut dire prends-moi en photo). Elles se font de plus en plus insistantes et tout à coup, excédée, j'ai envie de hurler : " Lâchez-moi ! " Mais la vue de ces petits visages innocents et avides de capter mon affection me bouleverse une nouvelle fois...
Nous leur promettons de revenir. Dans le taxi, je me retourne : dix petites paires d'yeux me disent adieu. Texte et Photos © Sylvie Lasserre Remerciements Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui m'ont aidée, d'une manière ou d'une autre, dans la réalisation de mes reportages, et tout particulièrement Matteo Peirone, qui m'a ouvert les portes du Caire, Marianne Nabil, Mohamed Allam el-Din et Hany El-Desouki qui m'ont consacré beaucoup de leur temps - surtout Marianne ! -, sans oublier Gaétan Duroy, Magdy Wanny Tawfik, Rizk Youssif et Shahata pour le Moqattam. Une pensée toute particulière pour Mohamed L., un collègue en situation très difficile parce qu'il écrivait ce qu'il pensait, et Fatem, une petite fille des rues... Je n'oublie pas non plus tous ceux dont j'ai apprécié la présence, comme Ketty, danseuse orientale, Afaf Al Sayed, Damien Poncelet, Mohamed, Brahim El Mansouri, Martin, Sami, Hossam El Laboudy, Gaylor, ...
Ca fait longtemps....
Je vais enfin refaire mon site a la demande de beaucoup de monde et j'aimerais biensur faire apparaitre ton blog dans les lien. Pour cela j'ai besoin de ton accord et aussi de l'adresse exact du blog car avec toutes ces pages , je m'y perds.
Bise
Ketty
Rédigé par : ketty | 06/04/2006 à 02:17
Bravo !
C'est bien écrit, bien restitué, on s'y croirait presque si ce n'était la sensibilité féminine qui perce dans le récit et tant mieux !
Amicalement,
Franck
Rédigé par : Franck | 03/11/2005 à 12:19
Merci pour ce beau reportage.
Rédigé par : mouna | 14/10/2005 à 03:06
Quel beau récit!
Moi qui suis égyptien vivant en France, je retrouve toute la palette des émotions si particulières que procure cette ville...qui parfois fini quand même par vous avaler quand vous y restez longtemps..
Et pour cause: entre 15 et 20 millions d'habitants, Paris ne fait même pas la taille d'Heliopolis (un quartier du Caire)...
Bonne continuation!
Karim
P.S.: les photos sont superbes!
Rédigé par : Karim | 15/09/2005 à 14:43
j'ai lu ton long (!) reportage et je l'ai trouvé très sensible et chaleureux. On sent que tu t'es vraiment plu là-bas et en même temps tu montres un visage du Caire très éloigné des sentiers battus. Tu as saisi des opportunités fantastiques. Bravo car c'est du coup très agréable et intéressant à lire.
à+
Cécile.
Rédigé par : debise cécile | 21/08/2005 à 16:32