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Tour du monde au jardin du Luxembourg

Tourmondeluxembourg « Afin de ne pas polluer la planète merci de ne pas fumer et d’enlever vos chaussures avant de faire le tour du monde. » Comme à la mosquée, les savates sont déposées à l’entrée de l’immense planisphère du jardin du Luxembourg. Du bout de l’orteil, Tranh indique son village natal à une étudiante française : Vinh Loi sur les marécages de Ca Mau. Puis il recommande vivement Nha Trang : « C’est la plage ! C’est comme Perpignan ! » Le jeune touriste vietnamien, blue jeans, tee shirt Nike, s’attarde sur son pays : Halong Bay, Hué. « Hué, c’est la cidarelle. » « La quoi ? » « La cidarelle royale ! » « Ah ! »

Les adultes déambulent gravement sur la carte géante, en chaussettes ou pieds nus. Certains se plantent, tels des hérons, tête basse et sandales ballantes à la main. On se raconte ses vacances, on s’assoit sur un continent du planisphère, le temps de parler posément de ses projets de voyages. Deux touristes prennent la position du lotus sur l’Inde. Pour la photo.

Quatre petites libellules en tee shirt rose fuchsia déboulent sur l’estrade et décrivent de larges cercles en courant. Elles agitent les bras dans tous les sens et poussent de petits cris aigus. « Je suis sur la terre ! » « On va sur l’eau ? » « Ouais ! » Une autre mime la nage. « Elle est grande hein la mer ! » « Regardez, je marche sur les maisons ! » La mère s’impatiente : « Allez ! On remet les chaussures ! » Et elles s’envolent, comme elles sont venues.

« Il ne faut pas courir », intime le père d’Antoine. « Moi, je veux courir ! » Antoine, petit blond d’environ quatre ans, tee shirt vert, court sans vouloir jamais s’arrêter. Il rit de toutes ses dents, silencieusement. De joyeux cris de mouette lui échappent : il traverse les océans et les continents. Son grand frère l’accompagne. « Y a plus pied ! » Le père, sérieux, tente de les instruire : « Tu vois, là, c’est l’Amérique ! » « Ouais ! » Et ils repartent de plus belle. Leurs cris retentissent, de plus en plus longs, de plus en plus stridents. Tellement heureux ! Antoine fait une halte en Pacifique nord. Il barbote un moment et, du plat de la main, donne des claques à la surface de l’eau. Il rit tout seul. Infatigable, il repart, suivi d’un copain qu’il vient de rencontrer en Alaska. Perl, une toute petite Vietnamienne, s’allonge, se vautre, se pelotonne. Elle attrape des jambes adultes. Maintenant, elle pose, à plat ventre sur le Vietnam, pour sa mère adoptive, américaine, qui prend la photo. Deux ans et deux petites couettes en l’air. Elle rit, elle aussi, du même rire qu’Antoine, l’air un peu largué mais les yeux brillants.

Antoine est maintenant rouge vif. Mais son père le rappelle pour partir. Et Antoine s’éloigne, à regrets, un ballon de baudruche à la main. Il se retourne et jette un dernier regard sur la petite Perl.

Vendredi 25 août 2000

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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T'as vu ? On dirait Cannes !

Parisplage_1 Du Pont au Change, vue imprenable ! Pelouse vert flashy, serviettes de plage multicolores et poupées Barbie allongées sous la lumière artificielle. « Ce sont des figurants ! Ils sont payés… » plaisante un jeune homme penché au-dessus du parapet. Une dame critique : « Elle est pas du tout décontractée ! » Son amie acquiesce : « Ah ben non, elle tient la pose ! » Trois flics perplexes scrutent le rectangle d'herbe, puis repartent, indécis.

Du haut du quai, photographes, journalistes, touristes et curieux se bousculent pour trouver le meilleur point de vue. Dans le brouhaha de la circulation automobile, ça mitraille de toutes parts. Un photographe a escaladé le parapet pour descendre sur la corniche. Arrive un hurluberlu en verve, bonnet de laine et catogan, qui fait un moment diversion. « Vous êtes journaliste ? » « Oui. » « T'as entendu parler des chaussettes anti-fatigue ? » Les journalistes sont censés être au courant de tout… Et il lui montre fièrement les deux bracelets rouges gonflables qu'il porte autour des chevilles. « Au moins quand t'enlèves les chaussettes le soir tu t'en rends compte ! » Arrive un autre photographe. « Je vais voir si je passe mais j'ai le vertige. »

Penchés au-dessus de la fosse, quatre touristes hollandais se poussent et font mine de lancer des cacahuètes aux lolitas tout en riant grassement. En bas, un reporter circule, micro à la main et antenne dans le dos. Une journaliste et un caméraman japonais se sont faufilés jusqu'aux starlettes pour les interviewer. Un passant profite de l'aubaine pour les filmer en douce avant de filer à l'anglaise. Au balcon, on se bouscule pour jeter un coup d'oeil en bas avant de pousser son commentaire - chacun a son avis à donner - : « Y'z'ont dit que dans le sable, y avait des scorpions. Moi j'vais pas y aller ! » « T'as vu ? On dirait Cannes ! Sauf qu'y'z'ont pas mis les yachts ! » « Y'en a qui d'vraient changer de maillot de bains ! » « Qu'est-ce qu'ils sont blancs ces parisiens ! » « Ca, c'est le côté exhibitionniste des gens ! » « Ah ! ben ça fait une attraction ! » « Oh ! la la la la ! » Passe un bateau mouche. Sur le pont, la guide s'évertue à montrer le Tribunal de Commerce mais tous les passagers ont la tête rivée de l'autre côté, vers la « plage ». Ah ! Elles croyaient être tranquilles, ce matin, les trois copines, quand elles ont installé leur paréo sur la pelouse ! Légère brise, beau soleil, palmiers... Peu de monde. A présent, elles ne semblent pas avoir réalisé qu'elles étaient devenues le centre d'attraction de « Paris -Plage ». Six cent mille personnes sont passées cet après-midi, paraît-il.

Dimanche 21 juillet 2002

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Temps de guerre

Tempsdeguerre « Il y en aura pour tout le monde ? » interroge, inquiète, la dernière arrivée. La file d'attente serpente sur plusieurs dizaines de mètres. Une heure d'attente au minimum. « Rangez vos billets, on ne prend pas de billets, on va débiter vos comptes », annonce une hôtesse. Un par un, sagement alignés, ils attendent, patients, cabas à la main. Serrés les uns contre les autres, parkas, shapkas et pantalons chaud, les vieux se tiennent chaud, par ce temps glacial. « Ils ont dit à la radio que les distributions n'étaient ouvertes que le matin », affirme une dame.

« Pour toute délivrance de sachets, merci de présenter une pièce d'identité et un chéquier ou une carte de paiement », indique la pancarte. « Bon ben j'ai ni l'un ni l'autre, râle la dame. Moi j'ai juste mon titre de transport ! » « Allez à la poste, ils en donnent à tout le monde », recommande, compréhensive, la caissière. « C'est la troisième banque qui me dit ça ! gémit-elle. Moi j'habite à l'autre bout de Paris ! »

Alerté, le directeur vient en personne donner de nouvelles recommandations aux hôtesses : « Bien faire comprendre aux clients qu'il n'y a pas de pénurie, que ce n'est pas la guerre. » L’homme sait aussi comment traiter ses clients : « Bonjour madame, vous souhaitez retirer un petit kit euro ? »

Seul indice que nous ne sommes pas en temps de guerre, des ballons en baudruche de toutes les couleurs décorent la banque.

Vendredi 14 décembre 2001

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Temps de guerre (suite et fin)

Tempsdeguerre2 Pour les besoins de mon reportage, je tente, aussi discrètement que possible parmi cette foule ramassée et désoeuvrée, de voler quelques photos. J’en ai déjà pris quelques unes lorsque le vigile me repère : « Qu’est-ce que vous faites ? » Je prends mon air le plus niais, mon attitude la plus engageante : « Je suis en stage de journalisme, c’est pour mon rapport de stage. » Sans oublier mon joker : « Je suis cliente de l’agence. » Rien à faire : « Vous n’avez pas le droit, il faut demander la permission. » « Aucun problème, demandez-la ! » Je suis charmante, et vraiment, aucun risque avec moi. Arrive une « responsable ». Gentiment, elle me redit à peu près la même chose. Elle doit appeler la « COM-MU-NI-CA-TION ». Je la suis dans son bureau. « Allô ? » « …… » « D’accord ». Un sourire, et elle me chuchote, complice : « Vous n’avez pas le droit, mais faites comme si l’on ne vous avait pas vue, prenez les photos de l’extérieur… » La conscience tranquille, je mitraille, de l’extérieur. Mais…

Maître corbeau régnait en son agence.

Un petit homme, surgi de nulle part, me tombe dessus : « Bonjour, je peux savoir ce que vous faites ? » Avant d’ajouter : « Je suis le directeur de l’agence. » « Ben, on ne vous a pas dit ? C’est pour un rapport de stage, cela ne paraîtra pas dans la presse. » Visiblement, on ne lui a rien dit. « Non, vous n’avez pas le droit, poursuit-il, intraitable. Et puis ce sont nos clients que vous prenez ! » « Mais je les prends de dos ! » se défend l’agneau. « Les consignes de la communication sont très strictes : c’est interdit », répond le loup.

Depuis le début de la scène, une silhouette, plantée dans mon dos, semble attendre quelque chose. Elle finit par me taper sur l’épaule. « Najwan ! » C’est un copain, qui habite le quartier. Il passait par là, il a tout vu, tout entendu. Il ne comprend pas ce que je fais là. Je lui explique.

Sans crier gare, Najwan entre alors en scène : « Monsieur, je savais bien que vous étiez quelqu’un de sympathique ! Justement, je voulais ouvrir un compte en banque. Je suis architecte, je pars bientôt au Cambodge. » Blablabla… Puis : « Mais elle peut me prendre en photo, moi, dans l’agence ? » Très fort, Najwan. « Oui, bien sûr (monsignourrr), aucun problème. » Ils en sont presque à se taper dans le dos. J’en profite : « Je peux vous prendre ensemble ? » « Mais bien-sûûûr ! ! ! » Mais que lui a fait Najwan ? ? ? Oubliées, les strictes consignes… Le directeur part chercher deux agendas qu’il nous offre. Les voilà, tous deux, posant pour la photo. Et là… Le directeur me gratifie du plus beau sourire rectangulaire que j’ai jamais vu. Je rêve. Paf. Je tire. Mais mon déclencheur réagit à retardement ! La photo que vous voyez n’est qu’un pâle résidu de ce sourire inouï. Plus tard, Najwan : « Tu sais, il faut flatter les gens… »

Vendredi 14 décembre 2001

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Le retour du lion

Retourlion « Cher Bertrand, vous êtes un vrai lion ! » Je n’en crois pas mes oreilles. Mais oui, Jean-Pierre Chevènement a bien osé. Qu’avait-il donc ce matin, en s’adressant à Bertrand Delanoé lors de la cérémonie de réinstallation du Lion place Denfert-Rochereau ? Sur le podium, ils sont trois à surenchérir d’éloges, de métaphores bancales et de dithyrambes osés. L’ancien député maire de Belfort - et actuel candidat à la présidence de la république -, le maire de Paris, Bertrand Delanoé, et Pierre Castagnou, maire du 14e arrondissement.

Pierre Castagnou nous informe qu’ « en mars dernier, le lion était descendu de son piédestal pour être restauré. » Sur l’instant, je comprends que le lion s’était carapaté tout seul. Mais non, il voulait dire que le lion « avait été descendu de son piédestal ». Il est vrai que sa disparition était survenue dans la plus grande discrétion. Seuls, les esprits observateurs avaient remarqué son absence. Un beau jour, je remarquai moi aussi, par hasard, que le socle rectangulaire était dépourvu de son lion. Bien décidée à ne pas me faire avoir une seconde fois, je me renseignai sur la date de sa réinstallation. « Dimanche matin ». Depuis la veille, une équipe de cinéma s’est campée sur la place. Quelques photographes amateurs ont pointé le bout de leur nez. C’est bon, je serai là également. « A quelle heure ? » « Onze heures. » Parfait. Arrivée à vélo, je déboule sur la place à onze heures pile, et me trouve nez à nez avec… un lion tout neuf, trônant sur la place et déjà cerné d’une petite foule. « Raté ! » Le lion était revenu à huit heures du matin.

En guise de consolation, une petite cérémonie inattendue. C’est en roi que l’on avait choisi de célébrer son retour. Chevènement, déchaîné ou plutôt mal réveillé, poursuit ses envolées lyriques : « Il est magnifique ! (le lion, pas Bertrand) » Puis : « Cher Bertrand, je connais vos qualités de cœur. » « Cher Bertrand » ne le contredit pas : « J’ai été malheureux pendant sept mois de traverser cette place sans le lion », confesse-t-il, pensant peut-être nous émouvoir. Les enfants du quartier se sont bien amusés. Nous aussi.

Dimanche 14 octobre 2001

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Le rat de la cité universitaire

Huit heures du matin, parc de la Cité universitaire. L’homme a surgi de derrière un buisson, comme un rat. Penché en avant dans un grand pardessus gris, il tient un sac en plastique à la main. Ses effets. Son pas est pressé, décidé. Non pas qu’il sache où il va, mais plutôt qu’il cherche à dissimuler son errance sans but. La chaleur s’annonce. A cette heure matinale, peu de témoins à sa misère. Juste deux ou trois joggers, qui l’ignorent en passant devant lui. Le reste des forcenés de la forme ne tardera pas à arriver. L’homme s’en ira alors vers la ville y chercher de quoi se sustenter. A l’approche de la nuit, il regagnera discrètement ses pénates.

A présent, il se désaltère au robinet prévu pour les joueurs de tennis. C’est son point d’eau, secret, dans la jungle asphaltée qui rugit derrière les grilles de la Cité. Ici, il dispose de bancs paisibles pour se reposer. Le grand luxe.

Je le croise depuis plusieurs années dans le triangle urbain Alésia, Denfert, Saint-Jacques. Aujourd’hui, j’ai découvert son repère à la cité. Il m’a toujours mise mal à l’aise avec ses lunettes en écaille, son pardessus strict et son visage d’intellectuel, un poil trop cuit par le soleil. Il me dérange avec son air de vouloir se cacher furtivement, comme pour masquer la honte de sa condition déplorable. Aujourd’hui, en allant faire trois courses, je l’ai croisé rue Dareau, près du pont du RER. Consciente que je n’allais pas tarder à écrire sur lui, lâchement reconnaissante, je lui donnai pour la première fois dix francs, royalement. Et je l’entendis me dire : « … mais si les historiens ne font rien, les aberrations se maintiennent et elles se généralisent… » Craignant de m’engager plus, je passai rapidement mon chemin. Nous sommes à cent mètres de Sainte-Anne. Cet homme a-t-il eu une femme, des enfants ?

Un matin de juin 2001

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Temps calme, mer peu agitée à la Samaritaine

Samaritaine Cinq kilogrammes par centimètre carré. Adossé à l'énorme chaudière, le vieux baromètre en cuivre tient bon. Dans la salle des machines, le moteur gronde et vrombit. Comme dans le ventre d'un paquebot, il faut hurler pour s'entendre. Par-dessus ce vacarme, des poulies s'activent, gémissent, couinent, grincent et ahanent avant d'émettre un strident cri d'agonie. Un peu de répit et elles repartent. Pas de trêve pour les ascenseurs de la Samaritaine. Terrible torture. Pour fuir ce vacarme infernal, seule issue à proximité, un minuscule escalier métallique en colimaçon. Deux tours de vis et le passager égaré apparaît, ahuri, les yeux écarquillés, tel un poisson sorti de l'eau, dans une tourelle vitrée ridicule. Comme dans le sas d'un char d'assaut, il tourne la tête à droite, à gauche. Le dernier pas salvateur le projette enfin sur le pont.

A cette altitude, le vent glacial est ininterrompu. Il attise les joues. Du haut de cette tour de guet, Paris s'étend tous azimuts. Comme le ressac de l'océan, immuable, le doux bruit de la mégalopole s'élève. La table d'orientation indique la direction de Bruxelles, Nord Nord-Est. A 310 kilomètres. Le navire tient le cap. Ciel bleu dégagé. Brume de pollution à l'horizon.

Dessous, le pont en bois a été déserté. Seules s'agitent au vent les franges blanches des stores, roulés pour la nuit sur leurs portiques. Le café-restaurant vient de fermer. Le soleil orangé ne tardera pas à plonger derrière l'horizon, dès qu'il aura passé le clocher de Saint-Germain des Prés. Dans le tumulte étouffé de la métropole, émerge soudain le carillon de Saint-Germain l'Auxerrois. Quatre heures et demie. Sur leurs échafaudages, des ouvriers martèlent encore. Chantier naval. Le bruit monte. La ville a pris des teintes de vieux fer rouillé. A bâbord, la tour Saint-Jacques disparaît sous une gangue de fer. Les flots étincellent. Centaines de lucarnes éclairées par le soleil. Comme de l'écume, le panache des volutes de fumée s’évaporant des toits contraste sur les flots sombres. Un vol de mouettes stagne au-dessus de la flèche de la Sainte-Chapelle. La face Ouest de la Tour Montparnasse flambe. Au loin, la nuit est déjà tombée sur l'avenue des Champs-Elysées qui scintille de mille phares.

Retour sur le pallier du neuvième étage, près des ascenseurs. Les pas s'étouffent sur la moquette gris anthracite. Loin du bruit des machines, une vieille rengaine de Julien Clerc, « Les gens d'ici ». Les touristes ont quitté le pont supérieur, la vendeuse japonaise range ses souvenirs. Cartes postales, tours Eiffel miniatures, parapluies, ... Le navire s'apprête à passer une de ses dernières nuits de calme avant les tempêtes précédant Noël.

Lundi 10 décembre 2001

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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La fugitive

Lafugitive Lentement, ils sortent du tunnel. Puis ils longent les rails de la Petite Ceinture désaffectée. Du pont qui surplombe le profond goulet encastré entre deux rives d'habitations, on peut les voir, tout en bas. Une femme et deux hommes. Silencieusement, ils avancent. La femme porte un épais manteau trois-quarts. Ses cheveux mal coiffés pendent et cachent son visage. Pâle. Très pâle. Les deux hommes portent ses sacs. Trois petits sacs délavés, usés. Le groupe cherche maintenant une issue.

Dehors les attend un troisième homme. Il commente la scène sur son talky-walky : « On la remonte à la surface. Elle nous a dit qu'elle n'a pas mangé depuis jeudi soir. » Dehors il fait beau. « Bonjour ! Vous venez avec nous madame ? Alors, vous avez eu des misères ? » Dans sa voix, toute l'humanité et la gentillesse qu'il lui est possible de mettre. La femme articule péniblement : « Bonjour », « Oui », « Non ». Elle n'a pas le cœur à parler. Plus même à pleurer.

Elle était venue se terrer là, comme une bête. Se faire oublier. Les trois policiers l’ont débusquée, très doucement, très gentiment. Ils pourraient être des amis. Des amis, elle n’en a probablement plus depuis longtemps. Peut être commencera-t-elle à se confier tout à l’heure. Mais déjà, la machine, et ses procédures, est lancée. On lui cherche une place dans un centre d'accueil. « Pas avant vingt heures trente pour les femmes et c’est pas sûr qu’y a une place ! Oui je vais voir ça ! » émet une voix à travers le talky-walky.

Dehors, les parisiens sont en goguette. C'est le premier dimanche du printemps.

Dimanche 24 mars 2002

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Rugby à Montsouris

« Allez Zoé ! Au revoir, Monsieur. » La dame, impatiente, tire son york-shire, abandonnant le vieux monsieur à ses pigeons. Ciel radieux en ce dimanche matin. L’air léger sent la mousse, la terre humide et le printemps. Le vieil homme, svelte, cheveux blancs, léger hâle et nez cassé, a ôté son anorak. Il pioche des morceaux de pains dans un sac en plastique tout en devisant avec un habitué du coin. Nous sommes au lendemain de la victoire française sur l’Angleterre au Tournoi des Six Nations. « Au niveau talonneur, c’est pas ça ! Il est trop lourd, il court pas assez ! » commente son interlocuteur, un jeune homme au fort accent du Sud-Ouest. Les deux hommes, debout, sont cernés par les pigeons. « Il est beau, ce droit ! Ses jambes, elles s’en vont ! Il joue hein ! Ca, c’est du boulot ! Ca joue, ça distribue ! » Dans son emportement, le vieux monsieur lâche son sac et oublie les pigeons qui terminent les dernières miettes.

« Moi, celui qui m’a le plus esplanté, c’est le 8 du tournoi de Galles. C’est un monsieur, ça ! Il a tout ! T’en prends quinze comme ça - Ils se tutoient maintenant - et tu remportes la Coupe du monde ! » s’enthousiasme le plus jeune qui poursuit : « Et attends ! Regarde bien le coup : ils tapent avec les deux essais qu’ils manquent ils passent devant nous ! » « Et moi j’ai vu le moment où ils allaient se faire remonter ! s’émeut le vieil homme qui roule délicieusement les r. Le 14, le plus petit là, c’était un feu follet ! Ah non, il a été bon ! Il est bon ce monsieur ! » Les pigeons, dépités, sont partis. « Magne, je l’ai vu à Sète. Il percute hein ! Ah il aime ça ! Vlam ! Ah ! J’aime ça ! Ca, ça travaille ! Nous, c’était le sac de sable et on se jetait dessus ! » Il mime les coups.

Tous deux se tiennent à présent au milieu du croisement, comme sur un ring. Le jeune enchaîne : « Et Spanghero, tu voulais le rendre fou, tu le prenais par le maillot ! » « Ah ! C’est plus pareil ! Je les trouve lourds maintenant ! Ils courent pas assez. Ils font pataud comme on dit. » « 110 kilos et 11 secondes au 100 mètres, tu les cherches, hein, t’en trouves pas d’autre ! » « C’est ce que je disais aux joueurs : ‘ Il faut jouer en profondeur !’ » Le vieux monsieur revit le match de la veille, comme s’il l’avait joué : « Magne, il perce le rideau ! Et vous l’avez vu, le Néo-Zélandais, comment il sert ? Il s’arrête, le temps de reproduire, aussi exactement que possible, le service du Néo-Zélandais. Ah ! Sur trente mètres, ils sont décisifs ces gars là ! » « C’est la technique ! » « Ah ! C’est le métier ! » Sur ce petit carré de terrain, nos deux protagonistes semblent prêts à jouer toute la journée, quand le jeune homme est subitement pressé par son chien. Il prend congé. Le match s’interrompt soudainement. Au bout de sa laisse, un york-shire, barrette et paletot de pluie.

Dimanche 3 mars 2002

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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Le repas des iguanes

Repasiguanes Il l’a eue ! Les deux jambes fichées de chaque côté de la margelle de la fontaine, raides comme les branches d’un compas, le touriste vient de voler sa photo souvenir : une perspective profonde derrière le rideau d’eau de la fontaine. Mémorable ! Mémorable, lui aussi. Satisfait, le grand barbu repart. Ici, sur les gradins de l’hémicycle du parvis de l’église Saint-Eustache, il y a les chasseurs d’images, et les mammifères, les homo sapiens. Paisiblement assis sur les gradins de pierre au soleil, ils profitent des dernières belles journées de l’automne, tels des iguanes ou des chimpanzés sur les rochers. L’odeur de l’herbe fraîche renforce la nostalgie de la fin de l’été. Le soleil de midi est bas dans le ciel. Certains ruminants ont terminé leur collation et s’accordent le plaisir d’une cigarette. La fumée chatouille agréablement les narines avant de s’évaporer dans l’air léger. D’autres s’époussettent tranquillement. Une brise se lève, fugace, apportant une odeur de friture. Une odeur de Mac Donald, venue de nulle part. Son repas achevé, une touriste pose pour la photo. Sophistiquée. Incongrue. Plus loin, un homme palpe et repalpe l’épaule d’une vieille femme assise. Elle pleure. Elle a du sang sur le genou. Elle a dû tomber. On accourt autour de la vieille, tel une bande de primates autour d’un membre blessé de sa tribu. Parvis Saint-Eustache par beau temps, plaisir de l’abandon, le temps d’un repas, à la douceur et à la nonchalance d’une existence animale. Plus loin, dans le bruit des moteurs polluants, assis sur des chaises aux terrasses des restaurants, on mange du bout des doigts de malodorantes frites. Puis on avale un café amer avant de repartir en courant au bureau. Ca, c’est la civilisation !

Mercredi 10 octobre 2001

Texte et Photo © Sylvie Lasserre

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